Mon Internet : Lucie Ronfaut
Vigie de l'Internet français, Lucie Ronfaut est journaliste et auteure. Elle écrit sur la tech et ses cultures subversives depuis de nombreuses années. À son tour de nous dévoiler son Internet.
Une nouvelle invité de marque pour Très-Haut-Débit en la personne de la journaliste Lucie Ronfaut. C’est la première femme à se prêter au jeu de l’interview Mon Internet et c’est une très bonne nouvelle. Lucie est une grande experte des technologies et plus particulièrement des cultures web. Après avoir débuté sa carrière au Figaro, elle a poursuivi sa carrière de journaliste en travaillant en tant que pigiste pour de nombreux médias : Libération, Le Monde, La Déferlante, Topo… Et n’a pas hésité à tenter de nouveaux formats : le podcast avec Binge Audio, la newsletter avec #Regle30 pour Numerama et plus récemment Twitch, avec l’émission Internet Exploreuses pour Origiami. Une excellente émission qui fait la part belle aux femmes qui font notre cyberculture. Que dire de plus si ce n’est que je suis Lucie sur les réseaux depuis belle lurette et que sa manière de traiter le fait technologique m’a toujours inspiré.
Quel est ton premier souvenir Internet ?
J'ai beaucoup de souvenirs d'internet liés à mon adolescence, mais j'ai un peu de mal à les situer dans le temps. Je dirais que mon premier souvenir fort, c'est d'avoir passé des heures sur un forum dédié au dessin animé Code Lyoko, dont j'étais très fan au collège. On débattait sur la série, on écrivait des fanfictions, on organisait même des "bals" sous forme de jeux de rôle écrits entre les membres ... ça a vraiment été ma première introduction à la puissance des communautés en ligne, dans ses bons comme ses mauvais côtés.
Internet, c'était mieux avant ?
Je me méfie du sentiment de nostalgie, en ligne ou hors-ligne ! Ça nous enferme dans un fatalisme qui nous empêche d'agir, et ça nous fait ignorer les mauvais côtés du passé (par exemple : ce n'est pas marrant d'être une femme en ligne en 2024, mais ça ne l'était pas beaucoup plus sur le web de 2004). Du coup je dirais qu'Internet, c'était différent avant.
Un mème qui t'a fait rire récemment ?
Je suis obsédée par ce mème sur les sangliers dans des peintures médiévales. En cette fin d'année, je suis un solide 6.
Tu as publié un livre : "Internet aussi, c'est la vraie vie", en 2022. Comment va la vraie vie depuis ?
La mienne va bien !
Est-ce que tu peux nous parler de tes futurs projets ?
Je pars en congé maternité dans quelques semaines, donc mes futurs projets n'ont rien de professionnel.
Le journaliste est-il un créateur de contenu comme un autre ?
J'ai une définition bête et méchante du journalisme : iel est celui ou celle qui récolte, vérifie et diffuse des informations. À l'inverse, j'essaie d'utiliser le moins possible l'expression "créateur ou créatrice de contenus" car je trouve qu'elle sert les intérêts des plateformes en masquant la diversité de la création en ligne, et le fait qu'elle peut tout à faire se faire en dehors de leurs logiques commerciales. Je préfère parler de vidéastes, d'humoristes, de mannequins, même de streameurs ou de streameuses ... Donc je ne vois pas en quoi un·e journaliste, même très connecté·e, serait un ou une créatrice de contenus.
En revanche je m'inquiète de la généralisation de certains modes de financement propres à la création en ligne dans le milieu du journalisme, de type avoir un Patreon individuel, une newsletter payante, etc. Je comprends la tentation (et la précarisation croissante de notre métier) mais je tiens beaucoup à mon statut de pigiste et à ses avantages. Je suis une salarié·e rémunérée à la tâche, pas une autoentrepreneuse. Et c'est un modèle qu'on peut appliquer aux nouvelles pratiques en ligne. Par exemple, ma newsletter #Règle30 est hébergée par un média (Numerama) et rémunérée à la pige. Idem pour Internet Exploreuses, une émission que je co-anime sur Twitch et YouTube, produite par le média indépendant Origami.
Qu'est-ce que tu penses de TikTok, tu vois des choses à faire sur cette plateforme ?
J'ai un compte pour regarder ce qui s'y passe et éventuellement repérer des sujets à couvrir. Mais sincèrement, je trouve ça un peu ennuyeux ! Je finis par décrocher au bout de quelques minutes à scroller.
Qu'est-ce qui apparait sur ta FYP ?
C'est chaotique car je trompe l'algo avec mes recherches pour le travail. En ce moment, pour une raison mystérieuse, j'ai énormément de vidéos sur le groupe de kpop Katseye et le mème du chat qui tourne.
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Tu penses quoi de Substack, tu suis des newsletters ?
J'adore les newsletters (j'en écris une !) mais je ne suis pas fan du modèle de Substack qui cherche à construire une énième plateforme sociale (avec tous les problèmes de modération et de merdification que cela pose) plutôt qu'un simple outil d'emailing.
Quelques reco d'infolettres au passage (même que certaines sont sur Substack, car je ne suis pas rancunière) :
- I <3 Mess (ça parle de mode et de culture des célébrités)
- Garbage Day (ça parle des trucs crades d'internet)
- Climax (ça parle d'écologie)
- Absolument Tout (ça parle d'absolument tout)
Et X (anciennement Twitter), tu continues de l'utiliser ? Est-ce que tu as testé les alternatives ?
Mon compte TwiX existe toujours, en revanche je n'y ai rien posté depuis l'été. Je reviens de temps en temps pour faire de la veille. Je suis beaucoup plus active sur Bluesky et Mastodon !
Il nous reste Instagram. Comment tu vois l'évolution de cette plateforme ?
Je ne sais pas quoi faire d'Instagram. Longtemps, mon compte était en privé et j'y partageais des trucs persos ... maintenant c'est davantage un outil pro. Mais je n'aime pas devoir faire efforts pour publier des jolis montages, choisir le bon moment pour poster, etc. Vu que je suis butée, je m'entête à y être la plus spontanée possible, et vu que ce n'est pas un réseau social qui récompense la spontanéité, je suis juste frustrée.
Il ressemblerait à quoi le réseau social idéal ?
J'avais répondu à cette question dans ce chouette article de la Revue de médias de l'INA, publié l'année dernière. Je n'ai pas changé d'avis depuis : j'aimerais des réseaux sociaux plus petits, où l'on ne chercherait pas à caser tous les éléments de notre vie, sans ciblage algorithmique, avec une implication directe des internautes dans des aspects qui nous échappent généralement, comme la modération et le financement.
Un compte à qui tu as envie de donner de la force ?
Cette année j'ai découvert le taff d'Hajar Ouahbi, une journaliste qui a écrit plusieurs mini-docus très cools chez Tracks : sur les Black gyaru, l'insta-gentifrication de spots de surf au Maroc, la place des personnes racisées dans les imaginaires de science-fiction...
Tu as déjà été viral sur les réseaux ?
Ce tweet sur la suspension du compte Twitter de Donald Trump, en 2021, avait pas mal tourné. Je crois que ça compte ? Ça m'a même valu une invitation sur Arte !
La personne qui t'inspire sur les réseaux ?
Ma collègue Héloïse Linossier, avec qui je co-anime Internet Exploreuses, justement parce qu'elle est très peu sur les réseaux sociaux. Pourtant elle est incollable sur les cultures en ligne !
Tu consommes quoi sur Youtube ?
Des recettes de cuisine (je suis une grande fan de la chaîne du New York Times Cooking), des analyses sur des sujets très niches (comment fonctionne la biologie dans l'omegaverse ?) ou très populaires (ce résumé de l'intégralité du scénario de Gossip Girl), la rediffusion officielle de l'émission anglaise Taskmaster.
C'est quoi ta routine Internet ?
Je suis du genre à prendre mon temps le matin, et j'aime lire des newsletters ou un long article que j'ai mis de côté avec mon petit-déjeuner. La journée, j'ai toujours Discord d'ouvert (pour le travail et discuter avec mes ami·es) ainsi qu'un service de musique (Spotify ou la webradio NTS). Ma pause déjeuner se passe souvent devant YouTube, mais je fais partie des personnes étranges qui regardent YT sur ma télévision dans le salon... ça me force à faire une vraie pause. Enfin, quand je m'ennuie, j'aime traîner sur OhNoTheyDidn't, une vieille communauté Livejournal dédiée aux potins de stars. Je suis vraiment très peu calée en célébrités, donc ça me met à jour, et j'aime bien son côté web des années 2000.
L’app la plus improbable sur ton tel ?
Lifetap. Je m'en sers pour suivre mon score quand je joue aux cartes Magic (et aussi Star Realms, un autre jeu de cartes que j'adore !)
Une actu, un fait récent ou une pratique qui te donne espoir en Internet ?
Je tiens beaucoup aux pratiques amateures en ligne, comme les fanfictions, et plus récemment j'ai commencé à publier mes propres zines papier. C'est une pratique que je trouve réjouissante, qu'on peut faire complètement à l'arrache ou avec beaucoup de soin, et qu'internet n'a pas du tout enterré. Bien au contraire, on a désormais accès à plein d'outils et de communautés pour produire et trouver des zines ! Si ça vous intéresse, je vous recommande de lire ce super papier du Monde sur le Fanzinarium de Paris, l'un des rares lieux dédiés à l'archive de zines en France.
C'est quoi ton temps d'écran moyen ?
J'avoue je ne le regarde pas trop parce que j'utilise mon smartphone pour des choses très diverses et qui font grimper artificiellement la moyenne, du genre écouter de la musique ou un podcast sur mon enceinte portative, consulter des notes pour une interview... Globalement, ça tourne autour de trois heures par jour. Mais je mets des minuteurs sur les applications sociales les plus chronophages, comme Instagram (pas plus de 15 minutes quotidiennes, même s'il m'arrive évidemment de tricher).
Est-ce que notre addiction aux écrans est un problème ?
Je suis prudente avec le terme "d'addiction" appliqué aux écrans. Par contre, clairement, le problème c'est le modèle économique dominant dans l'industrie du numérique qui retient notre attention et nous pousse à partager du contenu en boucle.
Tu peux nous montrer ton fond d'écran ?
Rien de très intéressant, désolée ! Je crois que j'ai trouvé cette image sur un blog Tumblr dédié au groupe de pop japonaise Perfume (accessoirement mon groupe préféré)
Internet ressemblera à quoi dans 10 ans ?
Ce qui est sûr, c'est que ça sera différent !